Pourquoi cartographier le CO₂ ? Le dioxyde de carbone (CO₂) est le principal gaz à effet de serre anthropique responsable du dérèglement climatique. En 2024, les concentrations atmosphériques de CO₂ ont atteint un niveau record, avec une augmentation de 3,5 ppm en une année — la plus forte depuis l’ère moderne.
Pour agir efficacement, les décideurs, chercheurs et citoyens ont besoin non seulement de savoir combien de CO₂ est émis, mais où et quand. La cartographie du CO₂ permet de visualiser les sources d’émissions, leur intensité, leur variation temporelle et d’évaluer l’impact des politiques de réduction et des technologies de capture.
Dans cet article, nous explorons les technologies (capteurs terrestres, satellites, réseaux hybrides), les innovations récentes, les plateformes d’émissions, ainsi que les applications pratiques de la cartographie du CO₂.
Capteurs terrestres : la granularité locale
a) Réseaux de stations sol
Les stations fixes mesurent la concentration de CO₂ à différentes hauteurs. Le réseau Global Monitoring Laboratory (GML / NOAA) à Mauna Loa est un standard de référence pour la tendance globale, avec une concentration à 425,48 ppm en août 2025.
Ces stations fournissent des mesures continues, de haute précision, mais avec une couverture spatiale limitée.
b) Capteurs urbains, mobiles et à basse altitude
Pour capturer les variations urbaines, des capteurs supplémentaires sont déployés :
- stations urbaines (TOC, observatoires de la qualité de l’air)
- voitures ou drones équipés de capteurs embarqués
- capteurs à flux de surface sur bâtiments ou installations industrielles
Le défi : calibrer et corréler ces mesures locales avec des données satellitaires ou modèles.
c) Fusion de données capteurs + satellite
Une étude récente propose de fusionner les données d’OCO-2 / OCO-3 (satellite) avec des mesures sol via ICOS / ERA5, en appliquant des algorithmes d’interpolation hybrides comme KNN. Afin d’obtenir des estimations fines avec une erreur RMS de ~3,92 ppm.
Cette approche permet d’améliorer la résolution locale tout en retenant la couverture globale des satellites.
Satellites CO₂ : de la vision globale à la détection des “super‐émetteurs”
a) Les satellites pionniers et les missions en cours
- OCO-2 / OCO-3 (NASA / JPL) : instruments de référence pour la concentration de CO₂. OCO-3, embarqué sur l’ISS, permet des relevés plus fréquents sur les villes.
- GOSAT (JAXA / Japon) : mesure la moyenne colonne de CO₂ et réalise des relevés réguliers. En juillet 2025, sa concentration moyenne globale était de 422,8 ppm, avec une croissance de ~2,7 ppm par an.
- TanSat / CarbonSat (Chine) : missions pour mesurer CO₂ global avec des récents progrès en traitement des données.
- Future satellite européen CO2M / Sentinel-7 : projet du programme Copernicus pour mesurer spécifiquement les émissions anthropiques. Avec une résolution attendue de 4×4 km, lancement prévu dès 2026.
b) Vers des satellites de “super-émissions”
Des organisations comme Carbon Mapper développent des satellites (et avions) capables de détecter des émissions localisées (usines, fuites). Et ce en quantifiant les “super-emitters” CO₂ et CH₄ à l’échelle d’infrastructures.
La plateforme Climate TRACE agrège des données satellites, industrielles et modèles pour visualiser les émissions de nombreuses sources à l’échelle mondiale.
c) Innovations technologiques : spectroscopie, dual-comb et plus
Une avancée notable : l’ultra-spectroscopie dual-comb réalisée sur 113 km en air libre, atteignant une précision <2 ppm en 5 minutes. Un pas important vers son intégration future satellite pour la mesure du CO₂.
Les progrès dans les algorithmes de réduction de bruit, correction atmosphérique, et intelligence artificielle renforcent les relevés précis même sous conditions nuageuses ou polluées.
Comment réaliser la cartographie CO₂
a) Vérification des inventaires nationaux et politiques climatiques
Les satellites CO₂ permettent de comparer les déclarations nationales (NDCs) avec les observations réelles, aidant à détecter les écarts ou erreurs.
b) Surveillance urbaine et identification de “hotspots”
Une étude de 2025 montre comment les satellites quantifient les émissions de CO₂ dans les villes, validées avec l’infrastructure urbaine, aidant à cibler les politiques de transport, d’énergie et d’urbanisme.
c) Suivi de l’efficacité des mesures
Les programmes de captage de carbone, de transition énergétique ou de restriction d’émissions peuvent être évalués via les variations locales de CO₂ détectables.
d) Transparence & responsabilisation
Avec des plateformes comme Carbon Mapper ou Climate TRACE, les journaux, ONG et citoyens peuvent pointer les émetteurs majeurs, générant pression publique et responsabilité.
Limites & défis
- Nuages, aérosols, couvert nuageux : perturbent les mesures satellites, demandant correction ou exclusion.
- Résolution verticale / colonne : le satellite mesure une colonne complète, pas juste la surface.
- Validation au sol indispensable : les données satellites doivent être calibrées / corrigées avec des stations physiques (réseau TCCON, ICOS).
- Temps réel vs instantané : les satellites offrent des “snapshots” périodiques, pas une mesure continue locale.
- Coût & lancement : les satellites, leur maintenance, les algorithmes sont coûteux à développer et exploiter.
Quelles sont les tendances pour les années à venir (2025-2030)
- Déploiement opérationnel du satellite CO2M / Sentinel-7 en Europe, avec mesure fine des émissions humaines.
- Constellations de satellites “super-émissions” (Carbon Mapper, GHGSat Vanguard) pour une couverture continue et granulaire. (GHGSat Vanguard lancé récemment pour traquer les émissions industrielles).
- Intégration avancée de modèles hybrides fusionnant données satellites + capteurs sol + modélisation climatique (ex : approche KNN + ML).
- Avancées en spectroscopie quantique / dual-comb pour densité spatiale / temporelle plus fine.
- Développement d’API publiques / dashboards citoyens : plateformes ouvertes pour que chacun visualise les émissions en temps quasi réel.
Cartographier le CO₂ est devenu central pour la lutte climatique. Grâce aux capteurs terrestres, aux satellites de nouvelle génération et à l’intelligence artificielle, nous pouvons désormais identifier les sources, valider les politiques et orienter les actions. Mais les défis restent : nuages, résolution verticale, calibration, coût.
Les innovations autour de CO2M / Sentinel-7, des constellations “super-émissions”, et de la spectroscopie dual-comb sont prometteuses.
L’avenir sera celui d’un système hybride, où satellites + capteurs sol + modèles s’unissent pour fournir une vision fiable, granulaire et transparente du CO₂.